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av sebastien philippot 3 år siden

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PARTIE III : UNE QUESTION FONDAMENTALE POUR LES STOÏCIENS : LA DOULEUR PHYSIQUE

Dans le cadre de la philosophie stoïcienne, la gestion de la douleur physique est une question cruciale. Les stoïciens proposent diverses méthodes pour surmonter cette épreuve, en soulignant l'

PARTIE III : UNE QUESTION FONDAMENTALE POUR LES STOÏCIENS :
LA DOULEUR PHYSIQUE

PARTIE III : UNE QUESTION FONDAMENTALE POUR LES STOÏCIENS : LA DOULEUR PHYSIQUE

III. Le combat du philosophe pour surmonter la douleur physique

2. Des armes pratiques : l’entraînement du corps et de l’esprit
C. Vaincre le dolor physique par l’imagination

- Evocation des exemples et émulation morale

Outre la méditation anticipée, un autre exercice, reposant lui aussi sur la représentation mentale, constitue une aide dans la lutte contre la douleur physique : l’évocation des exemples. Le stoïcisme affirme souvent l’importance de choisir des exemples sur lesquels conformer sa conduite. =

Mucius Scaevola, Régulus et Caton d’Utique. A travers un seul geste, [...] – Mucius regardant sa main fondre sur le brasier, Régulus fixant le soleil après l’ablation de ses paupières, Caton rouvrant ses blessures – Ces modèles délivrent, au sein d’une scène fixe, une « image de la vertu » à imiter = apprendre de celui qui est en train de réaliser l’action vertueuse, dans un processus imitatif de reproduction de l’action.

Ces exemples possèdent donc une fonction pédagogique. Ils « enseignent » comment endurer courageusement la souffrance. Parce que supporter courageusement la souffrance physique semble à beaucoup une épreuve difficilement surmontable, le philosophe doit avant tout démontrer que cela est bien réalisable. C’est pourquoi le stoïcisme préfère aux exemples imaginaires ou mythologiques le cas de personnages réels, ou du moins présentés comme tels; preuves vivantes que le courage face à la douleur est possible, pour conforter le proficiens dans sa volonté de surmonter la douleur.

- Le rôle de l’imagination dans la lutte contre la douleur : ennemie ou alliée ?

SOLUTIONS :

Deuxième solution : La méditation anticipée de la douleur :

La pratique de la méditation anticipée trouve son origine chez Platon dans la « méditation de la mort » (Phédon 81a). Selon Cicéron, ce sont les Cyrénaïques qui ont les premiers généralisé cette pratique à l’ensemble des maux, dans un exercice qu’il nomme praemeditatio futurorum malorum (« la méditation anticipée des maux à venir »). La douleur physique fait partie intégrante de l’existence : il est impossible de l’éviter. Il est donc nécessaire de se le représenter comme devant arriver de manière certaine

« ... si, lorsqu’on lui annonce les tortures physiques [...] et des vains moyens de terreur pour l’esprit humain, il demeure impassible et dit : “Ce que tu m’annonces aujourd’hui, moi je me le suis toujours annoncé à moi-même, et, en homme, je me suis préparé à ma condition humaine.” Sénèque, Ep. 76, 33 :

Selon Epicure, cette démarche ( praemeditatio ) est - Inutile, puisqu’elle fait craindre quelque chose qui ne se produira peut-être pas ; - Ineffective, car elle n’allège pas le mal quand il arrive ; - Et dangereuse, car elle provoque une peine bien réelle, celle de l’angoisse, alors que le mal n’est même pas encore là. Au contraire, la thérapeutique épicurienne conseille de détourner son esprit de la pensée de la douleur, afin de diminuer son emprise.

Première solution: Tout à fait traditionnelle pour un Stoïcien, est la « maîtrise des représentations ». La peur de la douleur à venir découle du caractère effrayant et spectaculaire que peuvent présenter certains épisodes douloureux, comme les scènes de torture, les mutilations, les blessures du combat ou encore les opérations chirurgicales

La première tâche du « progressant » est de rapporter ses représentations à la réalité. = REPRÉSENTATION CATALEPTIQUE

Cependant, pour qui n’est pas encore sage, la peur de la douleur physique est difficile à vaincre, car elle est naturelle, touchant à l’impulsion liée à l’oikeiosis qui pousse à fuir tout ce qui peut nuire à la préservation de soi. Il faut donc, aux non-sages, pour vaincre la peur de la douleur, une méthode reposant sur un travail concret de l’esprit. D'ennemie, l’imagination devient ainsi une alliée. Le stoïcisme affirme en effet la nécessité d’un entraînement psychique pour supporter la douleur et faire disparaître la peur qu’elle suscite.

La doctrine stoïcienne considère ainsi l’imagination comme un dérèglement du fonctionnement normal de la représentation, en différenciant la représentation normale (phantasia) de l’image mentale due à l’imagination (phantasma)

La Lettre 58 de Sénèque établit une distinction dans les objets de la nature entre « ce qui existe » et « ce qui n’existe pas », et place les représentations imaginaires dans cette dernière catégorie, c’est-à-dire celle du « non-être ». L’imaginaire se voit ainsi attribuer le statut ontologique le plus dégradé qui soit, celui des choses « qui ne sont pas ». Nous retrouvons cette conception négative de l’imagination, cette fois d’un point de vue moral, dans l’idée selon laquelle la peur constitue un obstacle dans la lutte contre la douleur physique

La peur de la douleur est un obstacle de poids dans la résistance à la douleur, car elle nuit au courage nécessaire pour l’endurer. Lorsqu’il y a crainte, l’âme fait face aux souffrances physiques « en hésitant », « en reculant », attitude qui va à l’encontre du courage attendu. Pour vaincre la douleur, il faut à tout prix vaincre la peur qu’elle suscite.

B. L’ascèse comme moyen de s’endurcir contre la douleur

Pour les Stoïciens, l’adversité constitue un « entraînement » (gr. askêsis, lat. exercitatio). Cette nécessité d’un entraînement pour s’endurcir constitue une idée largement diffusée dans la culture antique. Conformément à cette tradition, le stoïcisme met en valeur la notion d’ascèse en affirmant que l’acquisition de la vertu repose certes sur la doctrine philosophique théorique, mais aussi sur la pratique

A la différence du platonisme, où le seul véritable entraînement est celui de l’âme, pour le stoïcisme, l’ascèse peut également désigner un entraînement du corps, ou, plus précisément, qui passe par le corps dans un but moral, celui de renforcer l’âme. C’est par ce renforcement du lien entre esprit et corps, déjà présent dans l’ascèse cynique, que la lutte contre la douleur peut être assurée, car l’âme seule, sans l’intervention du corps, ne suffit pas

La vertu d’endurance s’acquiert par l’intermédiaire d’un entraînement. Cet entraînement à l’endurance repose sur l’« accoutumance », soit à l’effort, soit à la souffrance elle-même, qui doit rendre apte à supporter plus facilement la douleur physique. Ainsi, l’entraînement vise, par l’accoutumance, à « endurcir » l’âme, c’est-à-dire à la rendre moins sensible aux sensations douloureuses.

L’effort répété, en maintenant l’âme dans une tension permanente, permet de développer l’endurance, comme en atteste l’exemplum bien connu des jeunes Spartiates qu’une éducation rude a endurcis contre la douleur dès l’enfance. Il faut « traiter durement » le corps, l’entraîner à affronter d’un esprit égal les privations : les températures extrêmes, la faim, la dureté d’une couche. C’est ainsi que l’effort constitue une préparation et un endurcissement nécessaire pour endurer la douleur.

A. Combat contre la douleur physique et tension de l’âme

L’image du combat, par le biais de personnages tels que les soldats ou les gladiateurs, apporte au problème de la lutte contre la douleur physique des réponses plus efficaces que les théories abstraites. Cette image permet en outre de solliciter l’énergie de l’âme, d’inviter à la lutte et à la victoire. En effet, la métaphore du combat constitue un raccourci pédagogique davantage à même d’encourager le "proficiens", « le progressant », que les dogmes. L’entreprise parénétique de Sénèque s’appuie avec plus d’efficacité sur la séduction de l’exemple que sur la démonstration logique.

Mais l’utilisation de l’image du combat trouve sa principale justification dans la nature même de la résistance à la douleur. En effet, au-delà de l’image, il y a réellement combat afin de que la douleur ne devienne pas douleurpassion

Les Stoïciens présentent ainsi la résistance à la douleur physique comme une « tension », qui empêche que la souffrance ressentie ne se transforme en passion. C’est la théorie stoïcienne de l’eutonia. Lors de l’effort, l’âme se tend, au repos, elle se détend et, lorsqu’elle manque de tension de façon pathologique, elle devient la proie de la passion. Sénèque évoque ainsi le cas de l’homme qui est si « relâché » que la simple vue de l’effort chez un autre déclenche chez lui-même la souffrance, dans une sorte d’empathie pathologique

Lorsque les Stoïciens évoquent, la résistance à la douleur physique, ils ont fréquemment recours à la métaphore du combat. De manière générale, ils utilisent souvent l’image traditionnelle de l’existence comme un combat à mener: le sage est un combattant qui lutte contre les coups de la Fortune grâce à l’arme dont il dispose, la vertu.

Cette métaphore militaire du combat contre la douleur physique, absente de l’ancien stoïcisme, apparaît en revanche dans le moyen et le nouveau stoïcisme. En effet, la figure du combattant, tout particulièrement celle du gladiateur, correspond au goût romain pour la représentation spectaculaire. Mais cette inflexion relève surtout, de la part du stoïcisme romain, d’un mouvement plus général de « virilisation » de la philosophie.

La philosophie stoïcienne fait de la vertu une qualité virile, qui nécessite la virilité. D'ailleurs l’étymologie même du mot uirtus (« vertu »), se rattache au substantif uir (« homme »).

C’est dans cette perspective qu’il faut interpréter le fait que, chez Sénèque, il n’est quasiment jamais question des souffrances physiques endurées par les femmes alors qu’au contraire elles sont fréquemment concernées par la douleur morale: Sénèque répète à plusieurs reprises qu’endurer la douleur « en homme » (uiriliter), c’est l’endurer vertueusement, courageusement, alors que l’endurer « en femme » (muliebriter), c’est se laisser aller aux plaintes et donc à la passion.

Cette virilité nécessaire pour surmonter la douleur physique s’oppose à la mollesse des efféminés. Le délicat, trop concentré sur les soins de son corps, et donc plus sensible à la douleur, ne va pas avoir la force nécessaire pour vaincre la douleur qui va alors se transformer en passion. Cette opposition apparaît clairement entre

l’homme qui se fait opérer des varices debout, un livre à la main, et le délicat qui défaille au moindre nuage de poussière venant gêner sa respiration (Sénèque, Ep. 51, 10).

1. Pourquoi ne faut-il pas fuir systématiquement la douleur physique ? : la théorie de l’oikeiosis/conciliatio
B. De l’instinct de conservation à l’avènement de la raison

Cette théorie de l’appropriation pose toutefois un problème éthique : pourquoi ne faut-il pas fuir systématiquement la douleur physique, puisque celle-ci va à l’encontre de l’instinct naturel qui nous pousse, dès la naissance, à l’éviter ? Cette contradiction est dissipée grâce à la définition que Sénèque donne de la constitution. En effet, la constitution de l’homme est particulière, car elle est rationnelle, c’est-à-dire que, à la différence des autres animaux, sa nature lui commande d’agir conformément à sa raison. Or, la raison indique à l’homme que la douleur physique est un indifférent, qu’il convient de ne pas l’éviter si elle conduit à une action vertueuse, et qu’il faut la fuir si elle est liée au vice

Cette idée n’est pas en contradiction avec l’idée selon laquelle l’homme fuit instinctivement la douleur physique. La constitution de l’homme connaît une évolution, de l’enfance à l’âge adulte, entre cette impulsion instinctive, anté-rationnelle, et l’élan de la raison. D’abord centrée sur la conservation de l’être physique, elle s’aligne ensuite sur la raison et donne la priorité à la conservation de l’état rationnel de l’âme sur le simple maintien de la vie. L’homme perçoit alors la douleur physique comme une simple circonstance au véritable objet de l’élan : la vertu.

A. L’instinct de conservation

La première « arme » dont l’homme dispose lui est procurée par la nature, dès sa naissance. La théorie de l’oikeiosis, de l’« appropriation », que Sénèque traduit, comme Cicéron, par conciliatio, est fondamentale dans la philosophie stoïcienne. Cette tendance première et fondamentale de l’être vivant le pousse à veiller sur sa propre personne, et à adapter son comportement C’est pourquoi, d’instinct, tout animal est amené à fuir ce qui peut constituer une menace pour sa survie et à rechercher ce qui peut servir à l’assurer

En prenant pour preuve le fait que les oiseaux sortis de l’œuf savent déjà qu’il faut craindre leurs prédateurs, les Stoïciens affirment que cette tendance est instinctive, innée, présente dans tous les êtres dès leur naissance, sans même que l’expérience soit nécessaire. En effet, il s’agit d’une « impulsion » naturelle, absolument anté-rationnelle, dictée seulement par la nature de l’être vivant. Car, pour les Stoïciens, cet élan n’émane pas de la raison, mais de la sensation Tout animal naît avec la sensation de la fragilité de son corps et de ce qui peut nuire à son intégrité physique L’homme, comme tout animal, est ainsi poussé par cet instinct, que nous qualifierions aujourd’hui « d’instinct de conservation »,

Cette idée d’un rejet instinctif de la douleur physique, absente de l’ancien stoïcisme, correspond en revanche parfaitement à la doctrine du moyen stoïcisme, en particulier à celle de Posidonius, qui réaffirme l’importance du rejet instinctif de la douleur. Comme lui, Sénèque s’éloigne d’elle afin de redonner à la douleur physique son caractère contre-nature.

La douleur donne lieu à un mouvement de rejet instinctif et réflexe, sans que la volonté n’ait même à intervenir. Cette idée est en accord avec l’« argument des berceaux » développé par les Epicuriens, selon lequel le premier instinct des êtres vivants tendrait vers le plaisir et fuirait la douleur.

Introduction

Accepter et endurer patiemment la douleur ne signifie en rien rester passif : Au contraire, il s’agit de surmonter l’épreuve qu’il constitue tout en l’acceptant. Nous ne trouvons pas chez eux de dolorisme qui aurait conduit à ignorer les moyens de lutter contre la souffrance. Car l’expérience vécue de la douleur est susceptible de ruiner l’assurance de la philosophie censée garantir à l’homme le bonheur en toute circonstance. La douleur ne pouvant être éliminée, il faut la maîtriser.

IV. L’arme ultime contre la douleur physique : la mort

B. Une arme pratique : le suicide
2- Les Stoïciens autorisent le suicide, mais seulement dans certaines circonstances et sous certaines conditions : c’est ce qu’ils nomment le « suicide rationnel ». : « [Les Stoïciens] affirment que le sage se donnera la mort de manière rationnelle pour la patrie, pour ses amis, et aussi s’il connaît une trop grande douleur, des infirmités, ou des maladies incurables. » SVF III 757 (= Diog. Laërt., VP VII 130)

PATHOLOGIES : En effet, dans quelques circonstances pathologiques, le corps est si affecté qu’il ne peut même plus assurer correctement certaines de ses fonctions, comme, par exemple, celle de la sensation. Ces pertes de facultés affectent directement le bon fonctionnement de l’âme qui souffre à son tour. Le malade ne peut plus faire usage de son intelligence et se voit réduit à une existence qui n’est en aucun cas préférable à la mort.

Il faut également établir la nécessité du suicide, ce qui exige non seulement une réflexion philosophique intime, mais aussi une discussion avec des amis dont il s’agit d’étudier les positions. Cette pratique, procède d’une façon particulièrement romaine d’agir, dans la mesure où elle reprend le cadre du conseil réuni par le pater familias lorsque celui-ci doit prendre une décision importante. Enfin, le malade demande conseil à un philosophe, un spécialiste de la « direction de conscience ». Ce n’est qu’après ce long cheminement de la réflexion que la décision peut être prise conformément à la raison.

La douleur physique ne peut constituer une justification légitime à la mort volontaire. Nous avons vu qu’il est même du devoir de l’homme courageux de l’endurer et de ne pas la fuir. Se suicider pour ne pas avoir à souffrir, c’est « être vaincu » par la douleur. Il est, par exemple, lâche de se suicider pour éviter d’être torturé Ce ne sont pas les justifications physiologiques, mais les justifications morales qui importent!! La décision du suicide doit être prise par la raison, sans troubles, et ne peut donc pas être directement dictée par la souffrance. : [...] Faible et lâche est celui qui meurt à cause de la douleur, stupide celui qui vit pour souffrir. » Seneque, Ep. 58, 36

Contrairement à l’argument platonicien de la désobéissance à Dieu, se suicider est l’expression de la part de liberté dont l’homme dispose pour mettre en œuvre l’action vertueuse.

1- Le second motif consolatoire repose sur l’idée selon laquelle la mort est le terme de la souffrance, et qu’il est donc possible de mettre fin à celle-ci à tout moment. Grâce à la possibilité du suicide, douleurs, maladies et vieillesse ne sont plus à redouter (encore idée Epicurienne )
1. Une arme théorique : la mort comme motif consolatoire
Lorsque rien n’a permis de vaincre la douleur physique, il existe un dernier recours : la mort. Cette arme ultime intervient sous deux formes possibles qui correspondent chacune à deux moments de la lutte : - D’abord, sous la forme d’un remède consolatoire, lorsque le combat est encore possible - Puis sous celle d’un passage à l’acte, celui du suicide, lorsqu’il est temps de mettre fin à la résistance. Le premier est formulé sous forme de maxime et concerne l’intensité et la durée de la douleur physique :

« [Douleur], tu es légère, si je peux te supporter, brève, si je ne le peux pas. » Sénèque, Ep. 24, 14 La Nature, par bienveillance à l’égard de l’homme, ne lui impose que des souffrances tolérables, soit légères, soit brèves. : - Soit la douleur intense disparaît rapidement, soit elle entraîne la mort. - Une douleur qui se prolonge dans la durée n’atteint pas le degré d’intensité maximum et peut être supportée. Dans les deux cas, l’homme est libéré de la souffrance. Cette idée constitue une « consolation ». Cette théorie, d'origine Epicurienne, est l’un des « remèdes consolatoires" des pharmaka, présentés par Epicure dans sa Lettre à Ménécée

2- La loi physiologique selon Senèque présente un potentiel consolatoire plus efficace que la justification épicurienne dans la mesure où elle n’implique pas la mort comme seule alternative à la douleur intense = engourdissement / perte de connaissance

1- ⚠ L’expérience vient souvent mettre à mal cette théorie. Pour Cicéron, le postulat de la relativité de la douleur est faux : une douleur forte, comme celle de la goutte par exemple, n’est pas forcément brève. Il n’est pas difficile d’émettre l’objection selon laquelle bien des douleurs extrêmement vives peuvent se prolonger fort longtemps, sans pour autant entraîner une mort rapide

II. La douleur physique, épreuve et preuve de la vertu

3. Douleur physique et Providence
B. La douleur physique comme manifestation de l’élection divine

2- L’existence de cette Providence bienveillante rend nécessaire de proposer une « algodicée » Si considérer la souffrance physique comme un élément de l’harmonie du monde constitue déjà une algodicée en soi, Sénèque va beaucoup plus loin que cet argument traditionnel stoïcien = Si l’homme de bien subit des épreuves, c’est qui'il est favorisé par Dieu dans la mesure où ce dernier lui donne une occasion de manifester sa vertu : EXEMPLE : « Dieu, [...] favorise ceux qu’il désire rendre très vertueux chaque fois qu’il leur fournit la matière sur laquelle exercer leur énergie et leur courage, ce qui nécessite quelque difficulté. » Sénèque, Prou. 4, 5 :

Algodicée

c’est-à-dire de justifier l’existence de la douleur physique qui, imposée aussi bien au bon qu’au méchant, doit avoir une « raison d’être »

Si Dieu envoie des difficultés à surmonter, c'est qu'elles sont nécessaires pour prouver qu’ils peuvent dépasser la faiblesse de leur corps grâce à la force de leur âme. Alors que le peureux ou le lâche se plaint du sort qui lui a été dévolu, l’homme de bien, au contraire, comme le soldat courageux, est reconnaissant d’avoir été choisi parmi tous pour ses qualités. Dieu offre son élection non à ceux qu’il ménage, mais bien à ceux qu’il éprouve

Si Dieu « aime » ceux à qui il impose de dures épreuves, c’est parce que, non seulement il les choisit en reconnaissance de leur vertu, mais aussi parce qu’en les éprouvant, par cet entraînement même, il les endurcit et leur permet ainsi de ne pas rester sans défense (molles) contre les maux à venir. Dieu est sévère certes, mais comme un père qui aime ses fils et a toujours à cœur leur bien. Il s’agit d’un amour viril, lié à la manifestation de la vertu du courage. S’il les exhorte à endurer les souffrances physiques, c’est dans leur propre intérêt, afin qu’ils s’endurcissent et acquièrent, par l’expérience, une vraie force de résistance.

⚠ L’idée que les adversités soient voulues et envoyées aux hommes de bien par Dieu lui-même ne semble pas relever de l’orthodoxie de l’ancien Portique qui met plutôt l’accent sur la bienveillance totale des dieux. Ainsi, Chrysippe affirme que, lorsque la Nature envoie la souffrance physique à l’homme, l’événement n’a pas été voulu en lui-même par Dieu, mais est advenu seulement en vertu d’une consécution nécessaire du destin. L’idée d’un Dieu qui envoie volontairement la douleur physique pour le bien de l’homme pourrait trouver son origine dans la pensée de Sénèque. En effet, là encore, l’éloignement de la doctrine traditionnelle stoïcienne peut trouver sa justification dans la visée parénétique de l’œuvre de Sénèque : La pensée qu’endurer courageusement la douleur physique est un acte d’obéissance à Dieu, le signe d’une élection divine, et le moyen de lui offrir un « spectacle digne de lui », constitue sans nul doute une source de motivation plus efficace que la simple obéissance à la raison.

1- Cette conception providentialiste du cours des événements peut toutefois susciter une objection : Pourquoi Dieu voudrait-il imposer la souffrance physique aux hommes bons ? Cette question, qui invite à procéder à une théodicée constitue le point de départ du traité sénéquien De la Providence.

Theodicée :

c’est-à-dire à une explication de l’apparente contradiction entre l’existence du mal et celle d’une volonté divine bienveillante,

Si la souffrance physique, et en particulier de la maladie, est un châtiment divin, il peut sembler « inique » que les bons subissent une mauvaise santé ou des mutilations, alors qu’ils n’ont commis aucune faute morale. Pourquoi la Providence tolère-t-elle le mal dans le monde si elle agit toujours en vue du bien ? =

Cette bienveillance se manifeste, par exemple, dans le fait que la Providence ne permet pas qu’une douleur intense dure trop longtemps. En effet, la nature ne nous impose guère que des souffrances tolérables : La douleur physique qui dépasse un certain degré conduit à l’engourdissement. Le fait que nos corps soient ainsi régulés par un processus naturel qui interrompt la perception de la douleur dans les cas les plus extrêmes semble, pour le philosophe, indiquer un dessein intentionnel et bienveillant.

A. Endurer la douleur physique comme obéissance à Dieu

La vertu consiste à vivre en parfaite conformité avec la nature. Cette loi naturelle, ne fait qu’un avec la volonté divine, c’est-à-dire la Providence. La vertu équivaut ainsi à une obéissance à Dieu. L’honnête (honestum), c’est-à-dire la vertu = accepter sa destinée sans se plaindre. Chrysippe définit de même le courage comme « la disposition de l’âme à obéir sans peur à la loi suprême, même dans les moments de souffrance et d’endurance »

Accepter la souffrance physique est ainsi une vertu en cela qu’elle constitue une acceptation et une participation au bon fonctionnement de l’univers. Si Dieu a décidé pour nous la maladie, il s’agit nécessairement d’une bonne décision, précisément parce que c’est Dieu qui l’a prise, et l’homme de bien ne peut qu’être pleinement d’accord avec elle. Chrysippe : toujours à propos du fait d’être malade : "Etat que le sage appellerait de sa volonté, s’il savait que cela participe de son destin" L’insensé, lui, s’irrite à mauvais escient contre des événements qu’il ne sait pas resituer dans le cours naturel de l’univers.

Vouloir ce que Dieu veut est perçu comme une mission que le philosophe stoïcien, véritable soldat de la Providence divine, doit remplir « l’esprit joyeux ». « Pleurer, se plaindre, gémir » de ce qui advient est une faute grave, puisque cela constitue une contestation de ce que Dieu a décrété, une véritable désertion. Seul le bon soldat peut accéder à la vie heureuse en parvenant à coïncider intérieurement avec le cours du monde qui, lui, est déterminé entièrement.

2. L’endurance à la douleur relève de la uirtus
B. La douleur physique et la vertu : courage et endurance

2- L’endurance, elle, constitue une sous-catégorie du courage. Elle désigne la faculté d’endurer courageusement quelque chose. Il peut s’agir de manière générale de l’endurance aux adversités, mais aussi, plus particulièrement, de celle qui s’applique aux souffrances physiques: la torture, la maladie, la faim ou des températures extrêmes. Le courage, s’applique aux maux à venir, alors que l’endurance, qui représente précisément cette capacité de les supporter, concerne les maux présents.

1- Le courage est une vertu qui repose sur la connaissance qui permet de distinguer les périls qu’il faut rejeter de ceux qu’il faut accepter puis affronter, c’est- à-dire ceux au service de la vertu. Seul le mal véritable doit être craint, le reste, les maux d’opinion tels que la douleur physique et la mort, ne doit susciter que l’indifférence. Le courage entretient donc un lien étroit avec l’absence de peur. La vertu du courage n’est donc pas liée à la force guerrière, mais à la force de l'âme

Le courage constitue, dans la tradition stoïcienne, l’une des quatre vertus cardinales, aux côtés de la sagesse, de la tempérance et de la justice.

A. La douleur physique, une occasion d’éprouver et de prouver sa vertu

Les Stoïciens affirment que l’adversité est l’occasion, non seulement de s’exercer et de renforcer la vertu, mais aussi de se connaître soi-même et de manifester aux autres sa propre vertu. Il est intéressant de noter que les Stoïciens parviennent ici à prendre le contre-pied de l’opinion erronée selon laquelle la douleur physique entraîne le malheur. Au contraire, si elle permet de manifester la vertu, elle est le point de départ de la vie heureuse.

2- Sans une telle manifestation extérieure, personne ne pourrait connaître qui est vertueux, la vertu étant un état intérieur. Il y a donc nécessité de « montrer la vertu » aux yeux de tous. La douleur est une part de la gloire du combattant car elle est le signe que le combat a été difficile et donc que la victoire est méritée. Celle-ci n’a pas la même valeur si le combat s’est fait sans souffrances. La douleur joue ainsi le rôle d’une démonstration de la force morale du sage.

Régulus est ainsi, pour Sénèque: un « un modèle de vertu » : « Venons-en à Régulus. En quoi la Fortune [en lui imposant la torture] lui a-t-elle nui lorsqu’elle a fait de lui un modèle de loyauté, un modèle d’endurance ? » Sénèque, Prou. 3, 9 :

⚠ La démonstration de la vertu ne devrait pas avoir de valeur aux yeux d’un sage, pour qui l’opinion publique ne compte pas. Alors pourquoi Sénèque lui en confère-t-il une ? = Il faut en effet souligner le fait que le philosophe ne s’adresse pas à des sages, mais à des proficientes, des « progressants », qu’il s’agit d’encourager à affronter la douleur physique. Pour être plus efficace, Sénèque n’hésite donc pas à recourir à des arguments peu corrects d’un strict point de vue doctrinal. Le souci de paraître, l’image que l’on donne de soi, ne vaut rien pour un sage, mais vaut beaucoup pour un aristocrate romain.

1- Il faut toutefois préciser qu’une telle position n’implique aucun dolorisme. La douleur physique n’ayant pas de valeur morale en soi, certaines souffrances ne permettent pas de manifester la vertu.

On nomme dolorisme une doctrine philosophique, spirituelle ou religieuse qui exalte la douleur physique pour elle-même car on lui attribue une valeur morale. On parle aussi dans certains cas de culte de la douleur. L'adjectif correspondant est doloriste

1. Vertu et sensibilité à la douleur
B. Le sage et la sensibilité : de l’apatheia à l’invulnérabilité

Pour préciser au mieux sa position à l’égard de l’insensibilité du sage, Sénèque va surtout différencier les notions d’insensibilité et d’impassibilité : « “Tu diras qu’il ne souffre pas ?” Bien sûr, il souffre, car aucune vertu n’a ôté à l’homme la sensibilité, mais il est sans crainte : invaincu, il regarde de haut ses souffrances. » Sénèque, Ep. 85, 29 autrement dit de ne pas la laisser s’étendre la douleur à l’âme en devenant passion

S’il est si important pour Sénèque de distinguer les notions d’insensibilité et d’impassibilité, c’est parce que l’insensibilité à la douleur physique, si toutefois elle était possible, ne permettrait pas l’exercice de la vertu= Le sage ressent la douleur, et c’est précisément parce qu’il la ressent que c’est une victoire d’en triompher. Si la douleur n’était pas ressentie, il n’y aurait rien à surmonter. La vertu réside précisément dans l’attitude à adopter face à la douleur. La douleur physique n’est ainsi plus subie, mais constitue au contraire le point de départ de l’action vertueuse

A. Un sujet polémique : l’insensibilité du sage à la douleur physique

Cette position axiologique qui place la douleur physique parmi les indifférents, et qui affirme le bonheur du sage au milieu des souffrances les plus terribles, a valu au Portique, dès l’Antiquité, de vives critiques : les Stoïciens feraient du sage une entité désincarnée, insensible et inhumaine, et donc impossible à imiter. Le stoïcisme impérial, et surtout Sénèque, en a bien conscience: on ne peut se contenter de faire comme si la douleur était une simple notion, à classer dans telle ou telle catégorie ; c’est la réalité de la souffrance qui fait difficulté :

- « Il était facile de défier les malheurs alors qu’ils n’étaient pas là : voilà la douleur que tu déclarais supportable [...] ; les fouets claquent [...] : “c’est maintenant, Enée, qu’il faut faire preuve de courage, maintenant qu’il faut de la fermeté” Sénèque, Ep. 82, 7 : » - Il est plus difficile de déclarer que la douleur n’est pas un mal lorsqu’elle est présente, comme l’illustre l’anecdote de Denys d’Héraclée

Or, Sénèque l’affirme avec fermeté, l’insensibilité attribuée aux philosophes du Portique n’est ni la position de l’école ni la sienne. Nous avons déjà vu que, pour les Stoïciens, la sensation est liée à la condition humaine et que même le sage ne peut s’y soustraire. Chrysippe déclare que le sage ressent la douleur, mais qu’il n’en est pas ébranlé, c’est-à-dire qu’il est sujet à la sensation, mais que celle-ci ne peut donner lieu à la passion. Si l’apatheia est la négation de la douleur, c’est donc dans le sens de la douleur-passion et non dans celui de la sensation douloureuse dont les Stoïciens n’ont jamais nié la réalité.

L’apathie du sage n’est donc synonyme ni d’insensibilité ni d’inhumanité. Ainsi présenté, le sage est un modèle accessible, qui, tout en étant capable de se soustraire à l’emprise des passions par la maîtrise de sa raison, partage suffisamment avec le reste des hommes pour témoigner devant eux de l’accessibilité de la vie heureuse.

I. Le statut de la douleur physique

2. Statut axiologique
C. La douleur physique comme « non préférable »

La douleur physique n'est pas d’un indifférent « neutre ». En effet, selon la théorie stoïcienne, certains éléments ne sont pas parfaitement indifférents, mais « préférables » ou « non préférables »

La deuxième définition des Stoïciens présente les indifférents préférables comme des circonstances « désirables » car naturelles. La distinction entre avantages et inconvénients s’établit ainsi suivant qu’ils sont conformes ou contraires à la nature. Les préférables et non préférables sont donc les éléments que réclame ou fuit notre élan instinctif et naturel

D’autre part, conformément à la théorie de l’oikeiosis (« instinct de conservation »), ce qui est préférable, c’est ce qui va dans le sens de la conservation du corps et des commodités physiques. Au contraire, les non préférables compromettent la conservation de soi. Dans des circonstances moralement neutres, on choisira ce qui permet de conserver l’intégrité de son corps, et donc ne pas connaître la douleur. La douleur et la maladie sont donc des indifférents du point de vue de la morale, mais ils ne sont pas indifférenciés du point de vue de la conformité à la nature.

Toutefois, bien que, dans le système stoïcien, la règle pour l’homme soit de vivre « selon les lois de la nature », si la maladie ou la douleur permettent de manifester la vertu, par essence conforme à la nature, elles passent dans la catégorie des préférables

Les Stoïciens donnent deux définitions de l’indifférent préférable. - La première, présente chez Posidonius, met l’accent sur l’utilité de l’avantage ; il s’agit de ce « qui procure plus d’utilité que de désagrément ». A la différence du bien qui est d’une utilité absolue, l’indifférent préférable est d’une utilité relative. Cette utilité se mesure en réalité à l’« usage » que l’on en fait. Par exemple, la bonne santé, si elle permet de philosopher, est préférable, mais cesse de l’être si elle permet de commettre le mal. De même, l’absence de douleur, si elle facilite le chemin vers la sagesse, est préférable. Leur valeur est donc une valeur instrumentale, qui n’est pas attachée à l’objet lui-même, sinon il ne serait pas un indifférent, mais à son rôle dans la poursuite du bien.

B. La douleur physique comme indifférent

La douleur physique, tant qu’elle ne s’est pas transformée en douleur-passion, n’est pas un vrai mal :elle appartient à la classe des «indifférents» (gr. adiaphora, lat. indifferentia) que les Stoïciens définissent comme ne relevant ni de la catégorie des « vrais biens » ni de celle des « vrais maux » : Des « intermédiaires » Cette théorie des indifférents est fondamentale dans le stoïcisme. Au sein des listes d’indifférents présentées par les Stoïciens figure en bonne place, à côté de la maladie ou l’absence de maladie, la douleur ou l’absence de douleur.

Chez Zénon :

« Sont indifférents la vie et la mort, la gloire et l’anonymat, la peine et le plaisir, la richesse et la pauvreté, la maladie et la santé, et toutes les réalités de ce type. »


Chez Chrysippe :

« Ceux qui ne sont ni le bien ni le mal [...] comme la vie, la santé, le plaisir, la beauté, la force, la richesse, la gloire, la noblesse, et leur contraire, la mort, la maladie, la peine, la laideur, la faiblesse, la pauvreté, le déshonneur, les origines obscures »)


Chez Cicéron :

« ... comme la douleur, la maladie, la perte des sens, la

pauvreté, l’ignominie, les afflictions du même genre. »

Les seuls vrais biens et vrais maux sont ceux qui concernent l’âme, à savoir la vertu et le vice. C’est un principe fondamental de la morale stoïcienne que d’affirmer que l’état du corps indépendamment de la raison n’est jamais par lui même un bien ou un mal. = A rebours de l’intuition immédiate et aux antipodes de la théorie épicurienne qui fait de la douleur physique le plus grand des maux Outre le fait qu’il ne concerne en rien l’âme ni la vertu, la douleur physique ne correspond à aucune autre des caractéristiques définitoires, du bien et du mal véritables :

- Le vrai mal prive de la vertu, et donc du bonheur ; seul le vrai bien apporte le bonheur, or, la douleur physique n’a aucune influence sur le bonheur. Car le bonheur réside dans la vertu, et seul le vice peut l’altérer. Même torturé, le sage sera toujours heureux. Les indifférents ne peuvent influer sur la possession du bonheur.

Il convient de préciser que tous ces points relèvent du dogme, de la loi morale théorique, qui s’oppose à la morale des préceptes, et plus largement à la réalité existentielle, celle que vivent la plupart des hommes.

- Le vrai mal est ce qui nuit « Nuire », c’est rendre « plus mauvais ». Or, comme l’affirme Chrysippe, seul le vrai mal, c’est-à-dire le vice,peut rendre quelqu’un plus mauvais et peut donc nuire. Ce qui blesse la vertu est la seule véritable nuisance. La sensation de douleur est certes un « inconvénient », mais n’est en rien une nuisance, puisqu’elle n’enlève rien à la vertu

- Le vrai bien est permanent alors que la santé ou l’absence de douleur sont forcément des états passagers rendant impossible la tranquillité de l’âme qui accompagne la vertu. Le véritable bien, lui, est toujours stable et ne peut être perdu.

A. Un mal d’opinion

Un jugement faible et erroné va donner lieu au soupçon d’un mal, c’est-à-dire à l’opinion fausse que la douleur est un mal et que l’on doit la fuir. C’est donc l’opinion que l’on a de la douleur qui la rend pénible, et non la douleur elle-même. Il s’agit d’un dogme pleinement stoïcien : les faux maux reposent sur l’opinion que l’on a d’eux, et non sur ce qu’ils sont réellement. « ... [les Stoïciens] pensent que toutes les passions adviennent du fait du jugement et de l’opinion. » Cicéron, Tusc. IV 7, 14

Il arrive que ceux qui expérimentent la souffrance physique croient que la sensation désagréable qu’ils ressentent est un mal, car ils ont, dans une hiérarchie erronée, placé le corps à la première place, et l’âme à la seconde. = C’est croire que le bien moral n’est que de peu de valeur par rapport aux biens physiques comme la santé ou l’absence de douleur.

La véritable nature de la douleur est d’être légère, c’est-à-dire facile à supporter. Cependant, l’opinion peut altérer la perception de cette réalité et ajouter un poids supplémentaire qui rend la souffrance physique difficile à endurer. Pour reprendre l’expression de Sénèque, tout est donc « suspendu à l’opinion » (ex opinione suspensa). Se débarrasser de cette fausse opinion, c’est-à-dire pratiquer ce que les Stoïciens appellent la « maîtrise des représentations », est la première étape pour se libérer de la souffrance physique. Il faut d’abord sortir de l’ignorance de la véritable nature de cette souffrance et se débarrasser de la faute morale que constitue son évaluation erronée. Ce n’est que l’évaluation correcte de la douleur, c’est-à-dire la suppression de cette double opinion selon laquelle la douleur physique est un mal et qu’il faut la fuir, qui permet de ne pas tomber dans la passion et d’endurer courageusement les souffrances.

1. Statut ontologique
B. De l’émotion à la passion

2- Le sage ne ressent que quelques mouvements légers qui ne sont que les « ombres des passions » (Sen., Ir. I 16, 7 : umbras adfectuum), des « affections devenues stables », c’est-à-dire qui ne peuvent plus dégénérer en passion.

1- Pour les Stoïciens, l’âme et le corps sont intrinsèquement liés et se pénètrent réciproquement. Ainsi, la sensation douloureuse, choc d’abord physique, chemine par les nerfs et crée nécessairement un choc dans la partie directrice de l’âme, l’hegemonikon. Ce choc, ou « émotion », comme les sensations, est naturel et donc inévitable, même chez le sage : EXEMPLE :

2- Il y a une différence fondamentale entre les « émotions premières » (gr. propatheiai, lat. adfectiones) et les passions (gr. pathê, lat. adfectus). Alors que l’émotion consiste seulement en un mouvement de l’âme, passive, mouvement dû à un stimulus extérieur (la sensation de douleur, par exemple), la passion consiste dans le fait de s’y abandonner volontairement et avec l’approbation de la raison. Le premier choc de l’âme à l’idée que la sensation douloureuse est désagréable demeure inévitable et ne constitue pas encore la douleurpassion. Ce n’est que lorsque la raison a donné son assentiment à l’opinion que la sensation désagréable de douleur est un mal que l’émotion laisse place à la passion, fruit d’un dysfonctionnement de la rationalité, et que l’on va alors fuir ce qui le provoque ou rechercher ce qui peut y mettre fin.

Outre une différence de nature entre les émotions et la passion, il existe donc également une différence de temporalité. L’émotion, pour reprendre l’expression utilisée par Sénèque, n’est que « la phase préparatoire à la passion et sa menace » (Ir. II 4, 1)

2- Apparaît ainsi une seconde différence de temporalité entre émotion et passion : - La première est fugace, temporaire, amenée à évoluer du fait de l’intervention de la raison - La seconde, au contraire, est durable.

Cette distinction comporte une motivation éthique : il s’agit avant tout de clarifier la différence entre les émotions involontaires et les véritables passions, préliminaire à la parénèse morale qui exige la libération des passions

1- Il existe en effet deux parcours possibles, suivant la qualité de l’intervention de la raison : - Si la raison ne fonctionne pas correctement et donne un assentiment faible à la représentation fausse que la sensation désagréable ressentie est un mal, alors l’émotion devient la passion de douleur. - Si, au contraire, la raison droite ne donne pas son assentiment, l’émotion reste à son stade anté-passionnel et la raison n’est pas emportée. La douleur physique ne devient donc passion que si la raison n’a voulu et pu le maîtriser.

1- « Il est,[...] [des émotions] auxquelles nulle vertu ne peut échapper ; la nature lui rappelle sa condition de mortel. C’est pourquoi il froncera son visage devant une scène de tristesse, il frissonnera devant l’inattendu et sa vue se brouillera si, debout au bord d’un gouffre, il plonge son regard dans l’immensité de sa profondeur. Ce n’est pas la peur, mais un sentiment naturel inexpugnable à la raison. » Sénèque, Ep. 57, 4

Sénèque prend ici les exemples de trois manifestations physiologiques, Dans ces trois cas, les mouvements physiques sont le signe visible de celui de l’âme, l’émotion. Ils constituent une réaction réflexe, un « mouvement involontaire » car instinctif, lié et conforme à la nature, à la condition de l’homme, et donc universellement ressenti

Par analogie, le sage lui-même, subissant une atteinte à son intégrité physique, connaîtra les manifestations réflexes liées à la douleur – sursaut, retrait réflexe de la partie lésée, crispation des muscles – que rien ne pourra empêcher, car elles informent de manière instinctive du danger encouru par l’organisme. N’étant pas soumises à la volonté, elles ne peuvent donc être évitées par la réflexion, par la raison. L’émotion est en effet antérieure à l’intervention de la raison, de l’ordre de la réaction motrice, de la nécessité organique. C’est précisément parce qu’elle représente un état anté-rationnel que la raison n’a aucune prise sur eux. Ces manifestations ne relèvent donc pas de la peur-passion (timor) qui, elle, se situe précisément après l’intervention de la raison.

A. De la sensation à la passion

La douleur physique appartient à la catégorie de la « sensation » (gr. aisthêsis ; lat. sensus) La douleur est la « perception » d’une réalité extérieure, en l’occurrence d’un danger pour l’intégrité physique, par l’intermédiaire de l’activation des sens, principalement le toucher. Cette sensation « désagréable » que constitue la douleur est commune à tous les êtres vivants. En cela, la sensation de douleur physique est inévitable.

la sensation est la perception ou la compréhension à travers l’organe du sens. »